Cet arbre qui fascine par son gigantisme, appartient à la famille des malvacées et trône majestueusement sur au moins 50 mètres de hauteur. Qu'est ce qui lie l'un des plus grands arbres des régions tropicales à l'homme dans cette partie méridionale du pays ? A Mlomp tout comme à Diembéring, les réponses se recoupent sur les multiples utilités qu'offre le fromager pour l'homme et ses capacités hors normes d'être le réceptacle des fétiches et autres esprits protecteurs, mais aussi le témoin de l'histoire de ces communautés où la religion traditionnelle garde encore de beaux restes.

L'ombrage protecteur du fromager

La localité de Mlomp est située plus au sud à 12 kilomètres de la commune d'Oussouye. C'est le village le plus peuplé du département d'Oussouye et compte plusieurs quartiers dont Djikomole, Kadjifolong, Djibétène, Haer, Etebémaye, qui peuvent être considérés à juste titre comme des villages, d'autant qu'ils n'ont rien à envier aux autres villages du département. Pour rallier la ville d'Oussouye au quartier centre de Mlomp (Djikomole), il faut parcourir la route qui mène vers la localité d'Elinkine, via Djicomole et Kandianka, deux autres quartiers de Mlomp. A un kilomètre de Djikomole ce sont les grands fromagers qui signalent la présence d'habitations. Tout au long de ce tronçon Oussouye-Mlomp, il est loisible d'admirer la richesse de la flore, notamment avec cette kyrielle de fruits sauvages à la portée de tous les passants. La forêt dans cette partie du pays a un caractère sacré pour les populations du Kassa et notamment l'ethnie diola. Dans la localité de Mlomp, il est difficile de se prononcer sur la question de l'antériorité des fromagers centenaires et celle de l'installation des communautés. Partout où vous irez dans le monde diola, vous trouverez des fromagers. Ce ne sont pas des arbres qui ont été toujours plantés naturellement. L'on plante cet arbre qui sert de repère et d'orientation pour les populations. Sur la grande place publique de Djikomole, trois grands fromagers dominent les lieux. On ne peut passer dans le coin sans être ébloui par la beauté de la place dont le caractère majestueux s'identifie à l'image forte qu'offrent les trois fromagers autour desquels les racines tracent sur le sol des arabesques. Dans cette place a été bâtie une case à impluvium qui recueille plusieurs articles et pièces authentiques de la religion et de la culture traditionnelle diola. La place publique de Djikomole demeure aujourd'hui un lieu prisé des touristes et autres personnes en quête de découvertes. On peut trouver dans tous les villages de la zone qui possèdent une chefferie traditionnelle, une place publique à l'image de celle de Djikomole appelée « Khoutendoukhaye ». Dans la croyance populaire, ces lieux sont l'habitat naturel des esprits protecteurs de la communauté. Pour être plus explicite sur l'antériorité des habitations sur les fromagers de la place publique de Mlomp Djikomole, il faut noter que c'est la famille Sambou qui a planté ces fromagers. Le roi de Mlomp, chef coutumier, gère tout ce qui a trait à la religion traditionnelle diola et il compte des représentants dans les quartiers de Mlomp.

Une cohabitation utilitaire

Si les fromagers des grandes places publiques dans la zone de Mlomp ont été le résultat de plantations de la part des premiers occupants, il n'en est pas de même dans la localité de Diembéring distante de douze kilomètres du village touristique de Cap Skiring. Les premiers habitants de la localité de Diembéring ont trouvé sur la grande place du village et un peu partout des fromagers. En fonction des priorités et des besoins des populations, certains arbres ont été coupés. Dans cette localité, c'est la nature qui a tracé les contours de cette place de Diembéring qui abrite tous les grands évènements du village. Ici comme à Djikomole, ce sont deux fromagers et un grand baobab qui forment le décor de la place publique. Le diola aime la nature avec qui, il communie. Pour habiter, le diola a besoin de placer son fétiche sur un arbre solide pour bien se protéger. Et comme le fromager est un arbre robuste et centenaire, il demeure tout comme le baobab, le réceptacle des fétiches et autres génies protecteurs des hommes.

Pour les notables, les fromagers de Diembéring en dehors de leur caractère sacré, sont aujourd'hui des témoins de l'histoire de la localité de Diembéring. Avant que la localité ne soit une seule entité, il existait deux puits dans la zone. Le premier puits qui se trouve à Diembéring est celui d'El Hadj Oumar. Le second puits appartient aux populations de « Sangawate » qui sont les propriétaires des rizières. Et comme la cohabitation entre les populations de « Sangawate » et celles de Diembéring n'étaient pas de tout repos avec d'éternels problèmes, les hommes de Diembéring ont décidé de guerroyer ces derniers et de les ramener à Diembéring. Ce sont les hommes des quartiers de Haloudia, Khoudiabousse et Etama qui ont délogé les populations de « Sangawate ». Ce que la postérité pourra retenir de cet évènement, selon les notables, est que le partage du « butin » s'est fait sur la place du village sous le petit fromager de la place publique. Le partage des captifs s'est fait selon la parenté maternelle. Les captifs ont été intégrés sans leurs lances et leurs fétiches. Cet évènement a fortement marqué la localité. Le petit fromager pour avoir été témoin de cette histoire, a un caractère sacré. Quand un habitant a voulu abattre le petit fromager de la place publique pour construire, il a eu à faire face à un refus de toute la communauté de Diembéring. Le même scénario s'est produit quand la mission catholique a demandé à construire dans le périmètre de ce fromager sacré.

Le fromager, un outil économique et social

Les fromagers tout comme les autres arbres des grandes forêts ont constitué pour les hommes, un excellent élément pour le bois d'œuvre. Dans cette partie sud de la Casamance où les fromagers sont légion, les populations utilisent toutes les parties de l'arbre, (des racines en passant par le tronc, jusqu'aux feuilles et fruits) pour les besoins domestiques et spirituels.

Le respect voué à la nature et à l'environnement immédiat a favorisé dans cette partie du pays, la vie de certaines essences végétales dont le fromager. Dans les communautés rurales de Mlomp et de Diembéring, on retrouve cette espèce végétale un peu partout dans la forêt comme à l'intérieur des concessions. Le fromager pousse sans aucun entretien et n'exige que la protection contre les agressions de l'homme. C'est pourquoi les fromagers qui ont acquis le caractère sacré, trônent majestueusement dans les villages et dans l'environnement immédiat des habitats. Cet arbre est très utile dans la communauté diola. Dans l'habitat, les troncs et les racines des fromagers servent encore pour faire des portes, des fenêtres voire même des charpentes de maison. On retrouve aussi les troncs et autres racines de cet arbre dans la construction de pirogues et de cercueils en vue du transport pour l'interrogatoire du corps d'une personne morte. Une pratique funèbre dénommée le « Kassab » très en vogue dans le sud de Ziguinchor qui permet aux proches de s'enquérir des raisons de la mort de leur parent. Le bois de l'arbre sert aussi à la confection de plateaux sur lesquels des mets sont servis aux populations lors des cérémonies du grand fétiche. La coque du fruit sert aussi à aromatiser le tabac tout comme le Kapok qui est utilisé dans la confection de coussins (oreillers). Le fromager dans cette partie de la Casamance est devenu aujourd'hui un besoin économique, d'autant plus, que chacun cherche à en posséder. Les places publiques qui bénéficient de l'ombrage de ces grands arbres, abritent à Diembéring tout comme à Mlomp, les réunions, les grandes cérémonies traditionnelles. Ce n'est pas tout. Les grands problèmes qui ne trouvent pas de solutions au niveau administratif, sont généralement transférés sur la place publique et trouvent un compromis à l'amiable sous la bénédiction des esprits et du grand fétiche.