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Le long de la côte du Sénégal, de Saint-Louis à la Casamance, il existe des divinités marines ou génies de l'eau qui sont pour la plupart des femmes : Maam Kumba Mbang de Saint-Louis ou Ndar, Mame Njaré de Yoff, Maam MBossé de Raolack, Maam Guésou de Mboule. Et un seul homme : Leuk Daour Mbaye, le génie de la presqu'île du Cap Vert. Ces génies ou divinités, on les retrouve au Sénégal, le long du littoral et au-delà, c'est-à-dire du Golf de Guinée jusqu'au Nigeria. Mythe ou croyance ? En tout cas, ce sont des réalités culturelles pour les peuples marins.

En nous faisant conter ces extraordinaires histoires de génies tutélaires, associant les dieux, les hommes et la nature, l'on a découvert que l'activité marine (la pêche) est dominante dans les zones où ces êtres surnaturels sont l'objet de vénération. Il est établi un rapport étroit entre ces « rabs » et la
mer ou les fleuves. Alors, sont-ils d'anciennes divinités marines ou fluviales déminées le long des côtes et auxquelles était rendu un culte que l'on continue, aujourd'hui, à leur rendre, mais avec moins d'intensité par rapport au passé.

Ayant quitté le Djoloff à la conquête de nouvelles terres, les Lébous, dit-on, ont découvert la mer et se sont installés sur la côte, entre Dakar et Toubab Djalaw. Et depuis leur établissement ici, il y a de longues années, ils entretiennent des relations avec les génies vivant sur les lieux. Maam Kumba Castel (Gorée), Maam Kumba Lamb (Rufisque), Maam Njaré Jaw (Yoff), Maam Kumba Paye (Mboth), Leuk Daour Mbaye (Presqu'île du Cap Vert). A Saint-Louis, l'histoire de Maam Kumba Mbang est perpétuée par les populations de Guet-Ndar, des Lébous très attachés aux activités de pêche.

Autour des îles du Saloum, on retrouve ces mêmes cultes liés aux divinités de la mer. Tout comme les Lébous de Dakar, les Sérères se reconnaissent dans cette tradition « des tours ». Selon eux, cette zone constitue le milieu naturel de certaines divinités marines comme Maam Ndéw (Djilor), Mama Nguedj (Joal-Fadiouth), Maam Mindiss (Fatick), Maam Ngesu (Mboul). Ces « rab », considérés comme des gardiens ou génies protecteurs, sont invoqués, à travers leur généalogie, lors des cérémonies importantes intéressant toute la communauté. Chaque village avait son propre génie marin qui en était son protecteur, mais qui pouvait dépendre d'un autre plus important.

Un phénomène entouré de mystères

May Wata, devenue Mamy Water (la mère de l'eau), est une divinité vénérée dans le Golf du Guinée, c'est-à-dire de la Côte d'Ivoire au Nigeria. Mais au Sénégal, on parle de ce génie, présenté comme une sirène aux longs cheveux, avec autant de passion que dans ces contrées ci-dessus citées. Une jeune femme Sérère des îles du Saloum raconte : « Ma sœur jumelle "dafay danou" (est souvent possédée par les djinns). Alors, elle se débat et crie : la queue, la queue ! C'est une queue de poisson qu'elle voit, ce qui traduit que c'est Mamy Wata son génie. Et pour qu'elle recouvre ses esprits, il lui faut de l'eau provenant de cette mer de la Côte-d'Ivoire ! ».

L'interprétation des faits liés aux génies est difficile. Ne pouvant être interprété par la lumière des connaissances scientifiques, il faut simplement voir en cela un phénomène entouré de mystère et dont une minorité semble en détenir le secret. En effet, l'opportunité n'est pas donnée à chacun d'entrer dans le secret des dieux. « C'est des "kham kham" (Des secrets à ne pas divulguer) ». Des forces mystiques qui gouvernent la nature ? En tout cas, il est dit dans un chant de « Ndeup » : « Ma mom gej » (je suis le propriétaire de la mer). Pour toute explication, certains parlent de croyances traditionnelles.

Le professeur Ibrahima Sow affirme « qu'il serait plus de l'ordre de la croyance que de l'ordre de la raison ». En vérité, les populations croient fermement à ces divinités de leurs terroirs. « On prie sur le bon Dieu ; mais Dieu nous a mis en relation directe avec nos "tours" (Yallah mognu bollé ak sugnuy tours) ». Pour preuve, le sacrifice rituel des génies, « tourou », est effectué tous les ans pour recréer l'atmosphère mythique d'avant. Un acte rituel qui tient au sacrifice recommandé par le génie lui-même et selon les principes qu'il aurait édictés. Ce sacrifice appelé « tourou » est une offrande aux génies pour avoir de bonnes récoltes, pour dynamiser les activités de la pêche entre autres.

Convertir ces mythes en messages d'éducation

Ces croyances aux divinités marines tendent aujourd'hui à disparaître sous l'effet de la modernisation des sociétés africaines et du développement urbain qui a détérioré l'espace et bouleverse l'ordre cosmique.

Dakar serait une presqu'île habitée par des génies. Certaines plages de la presqu'île tout comme les îles qui entourent la presqu'île (Gorée, Teuguén, Madeleine) sont réputées être des endroits pratiquement hantés mais qui perdent cette réputation étant de plus en plus fréquentés par la population Dakaroise.

En effet, on parle de moins en moins de l'histoire du cheval blanc ou du cheval aux trois sabots encore moins de son « jololy » (une clochette accrochée à la crinière du cheval) ou encore de ses sabots particulièrement retentissants... « Avant, la ville n'était pas éclairée. Il était fréquent de rencontrer Leuk
Daour dans les rues de la ville. Une belle femme blanche aux longs cheveux qui disait aux noctambules d'aller se coucher. Malheureusement, ces belles histoires sont en train de disparaître du fait de la modernisation de la ville », déclare Babacar Diop, nostalgique.

Convertir ces mythes en messages d'éducation et de sensibilisation

« Toutes les sociétés humaines ont façonné des mythes pour des besoins sociaux spécifiques, celui de se perpétuer, de se former, d'avoir un ancrage et des éléments spirituels sur lesquels s'accrocher pour survivre. Le héros est à l'origine d'un acte de bravoure à donner en exemple pour des générations », explique Babacar Mbaye Ndack, Président de l'association des conteurs du Sénégal.

A son avis, « Dieu a organisé l'espace et le temps selon des forces et la maîtrise de ces forces permet à chaque peuple d'organier son devenir ». Par conséquent, le conteur pense que ces aspects culturels doivent être convertis en messages pour encourager de bons comportements et de bonnes pratiques chez les populations. Il existe dans nos cultures africaines, des aspects qui doivent être utilisés pour le développement. Nous ne savons pas utiliser les mythes pour les convertir en messages de communication pour galvaniser les populations.

Par exemple, note Babacar Mbaye Ndack, « Baay Demba Waar » est un véritable mythe parce que ce personnage est fictif ; il est une construction sociale avec un but bien déterminé : former les générations de travailleurs. C'est le mythe de tous ceux qui cultivent la terre, le héros de l'agriculture. On chante « baay Demba Waar Ndiaye, waar wako yobbu guéj (parce qu'un jour, il a cultivé jusqu'à la mer) ». C'est un mythe du travail, comme celui de « Stakhanov » en ex Union Soviétique pour emmener le peuple Russe à retourner vers leurs traditions agricoles. L'agriculture (comme l'industrie naguère en ex Union soviétique) a besoin de ces mythes. « La Goana » (une nouvelle initiative agricole mise en œuvre par le gouvernement du Sénégal pour développer le secteur de l'agriculture et dont l'objectif est d'apporter une suffisance alimentaire au Sénégal) a besoin d'un mythe.

« Saraba », c'est aussi un mythe. C'est un pays où il y a l'abondance et la paix. C'est notre eldorado ; c'est le mythe du retour, construit pendant la période de la domination coloniale. « Malick Mbengué Ndiaye, nagnou gnibi Saraba» (nous retournerons à Saraba, nous reprendrons l'indépendance) est une note de regret et de nostalgie et en même temps un message pour la libération de notre peuple. Ce sont des mythes construits pour des besoins sociaux mais Leuk Daour n'est pas une construction. C'est une réalité. Mais, les relations de ces génies avec les hommes peuvent être embellies pour donner naissance à des mythes ».

Ainsi, le conservateur du patrimoine oral Africain, fait le plaidoyer pour la conservation de cette culture. « Nous devons bâtir nos pays à partir de nos propres valeurs. Les Européens viennent chercher le meilleur de nous même que nous rejetons par complexe. La ville est en train de tuer l'Afrique avec ses bonnes valeurs. On ne peut plus affirmer notre africanité à partir des valeurs qui ne sont pas les nôtres. Nous avons notre façon de voir le monde. Si nous banalisons ces choses-là, nous ne pouvons pas avoir d'avenir pour revendiquer une culture et une originalité africaines. Nous ne pouvons nous dire africain et refuser notre culture et nos traditions ».

Les principaux génies tutélaires

LEUK DAOUR

Leuk Daour, le génie de la presqu'île du Cap Vert, est le seul homme parmi tous ces génies. On raconte que « c'est parce ce que Leuk Daour Mbaye est un homme que Dakar est devenu une ville très urbanisée. Les autres femmes viennent rejoindre leur mari, le soir à Dakar ». Le jeudi soir, Leuk Daour se promène dans la ville en prenant la forme d'un très beau cheval blanc pour veiller sur les Dakarois. C'est le vrai protecteur de la cité : « Leuk Daour kou léwét la ! Jaboot la té moo gnou bokk jaboté (il n'est pas méchant. Ce sont ses fils qui le sont ». Et parfois, il apparaît sous la forme d'une vieille connaissance qui te raccompagne jusque devant la maison. Au moment de te quitter, il te confie ces quelques mots : « Goudi amna boroom (la nuit a ses mystères) ». Les Dakarois ont aussi souligné l'hospitalité de « Leuk Daour ». « Il ne faut jamais annoncer son départ de Dakar au risque de désister maintes fois, car le génie de Dakar n'aime pas se séparer de ses hôtes ».

MAAM KUMBA CASTEL

Je ne me souviens que d'une seule chose, c'était quand j'étais toute jeune. Un jour, j'ai passé la nuit chez une tante qui est une religieuse parce que je devais l'aider à faire de petits travaux ménagers dans l'église, très tôt le matin. On s'est réveillé trop tôt ce jour là ! Sa maison faisait face à la montagne Castel. En voulant sortir, elle m'a retenue en me disant : « Il vaut mieux attendre un peu. Maam Kumba Castel est en train de descendre de la montagne et on risque de la croiser en chemin. Effectivement, ayant regardé de ce côté-là, j'ai aperçu du haut de la montagne, une très belle femme en robe rose avec un chapeau sur la tête... Ce souvenir est encore resté gravé dans ma mémoire », raconte la Goréenne Adame Guèye.
En effet, à Gorée, toutes les personnes rencontrées ont particulièrement souligné son sens de l'hospitalité. Une jeune fille confie : « Quiconque s'installe à Gorée fait fortune ou réalise de grands progrès. Mais, il faut respecter les règles de conduite qu'elle a éditées et surtout de faire les sacrifices qu'elle demande, c'est-à-dire 35 Fcfa en pièces de cinq francs à mette sous son oreiller la nuit et, le lendemain au réveil, les jeter en mer, entre Dakar et Gorée ; acheter des fruits et de la boisson à jeter au même endroit ; laisser flotter au même endroit une calebasse de lait caillé ».

MAAM NJARE DE YOFF

« Nous, les Soumbarés, sommes les descendants de Maam Njaré. C'est notre ancêtre Galioula Suumabar qui l'avait accueilli à Yoff », explique Arame Léye avant de faire son récit. Galioula Suumabar, en quittant le Djoloff pour se rendre au Sud à la conquête de nouvelles terres, a rencontré Maam Njaré au milieu de la brousse qui lui proposa de l'accompagner : « Je vais habiter avec toi et faire partie de ta famille ». Il lui donna un grand troupeau de bœufs et lui posa ses conditions : « Je ne peux pas tenir ni dans les toilettes ni dans une chambre. Je vais élire domicile au beau milieu du village ! Pour surveiller du côté de la mer, du côté de la brousse et pour te protéger de tous les dangers. Il faut me chercher trois pierres, pour que je puise m'asseoir sur l'une et poser mes pieds sur les deux autres, faisant face à l'est », précisa le génie. Et depuis lors, il est resté le génie protecteur de la cité. Et une fois, des étrangers sont venus nous attaquer, Maam Njaré a provoqué l'obscurité (mu indi lendem). Une autre fois, des ennemis avaient tenté de nous envahir. Et Maam Njaré a fait sortir une myriade d'abeilles qui attaquèrent les envahisseurs, les obligeant à fuir. C'est d'ailleurs là l'origine de notre chanson : « Yoff moo dax janbor » (les habitants de Yoff ont chassé l'ennemi!)

L'île de Tenguén lieu d'habitation de Maam Njaré

L'île de Tenguén, qui se trouve à quelques mètres de la plage de Yoff, est, selon les habitants du village traditionnel de Yoff, le lieu d'habitation de Maam Njaré. On dit aussi qu'un autre génie habite dans cette île. Il s'appelle "Maam Woré Moll". On explique aussi que la grande famille Mbengue de Yoff, des descendants de ce génie, fait son « tourou » (sacrifice rituel) dans cette île